lundi 24 décembre 2012

Lêdo Ivo, poète brésilien


Nous venons d'apprendre avec tristesse
la mort de Lêdo Ivo
 
En juin 2012, L'Oreille du Loup a publié
le premier livre en français de Lêdo Ivo
Requiem / Réquiem
dans la traduction de Philippe Chéron

En hommage au grand poète brésilien,
un extrait de Requiem

 
 


Lêdo Ivo est né le 18 février 1924 à Maceió, port sur la côte atlantique et capitale de l’État de l’Alagoas, au Brésil.
En 1943 il s’installe à Rio de Janeiro où il collabore à des revues littéraires et travaille comme journaliste dans la presse de Rio.
Auteur de plusieurs romans, essais et recueils de nouvelles, il a publié plus d’une trentaine de livres de poésie depuis 1944.
Considéré par la critique comme la figure la plus représentative de la Génération de 45, Lêdo Ivo est aussi un des poètes contemporains les plus populaires au Brésil.
Requiem, écrit après la mort de sa femme, a obtenu le prestigieux prix Casa de las Americas en 2009.
Les 1100 pages des œuvres poétiques complètes de Lêdo Ivo sont parues au Brésil aux éditions Braskem.
 



Extrait:

 
J’ai toujours aimé le jour naissant. La proue du navire,
la clarté qui avance au milieu des ombres éparpillées,
le vaste murmure de la vie dans les gares.

Un bûcher de mots fait irruption dans la place.
Un obscur train lacustre traverse la ville.
Le jour déverse les syllabes du monde dans les avenues.

J’ai toujours aimé le tonnerre qui lacère l’après-midi,
la rouille et la pluie, les amours qui s’achèvent,
la fumée qui monte des pneus crevés.

Les jours stupides passent comme les ponts.
Les statues volent comme les oiseaux.
Les portes les mieux fermées s’ouvrent comme des lèvres.

J’ai toujours aimé ce qui passe : les taxis pleins,
les trains sifflant, les nuages déchirés
et les feuilles entraînées par le vent.

La grêle fustige les pyramides de la mort.
La porte du bordel claque dans la chaleur.
Un couchant jaune baigne l’arsenal.

J’ai toujours aimé la ferraille, les formes détruites
et devenues puanteur marine avec le temps.
J’ai toujours aimé le charançon caché dans le silo.

La rumeur du torrent éclaire la nuit
et déploie entre les pierres les beaux étendards
d’un rêve qui accompagne un soleil démantelé.

Et j’ai toujours aimé l’amour, qui est comme les artichauts,
quelque chose que l’on effeuille, qui dissimule
un cœur vert impossible à effeuiller.

Dans l’arsenal de San Miguel de los Campos
la mer rend à la mer le butin réclamé
des vertèbres perdues des navires.

J’ai toujours aimé le tonnerre qui réveille les dormeurs,
ma porte grande ouverte à la tempête,
le jour perdant ses écailles comme un poisson.

J’ai toujours aimé le brouillard cachant les paysages,
les mannequins, les épouvantails, les miroirs brisés.
J’ai toujours aimé la rouille, l’érosion et la ferraille.

Les conteneurs sont déposés dans la cale des navires comme
    des corbeilles de fleurs.
La ligne séparant la terre de la mer fulgure comme la foudre.
Dans l’immense balcon du monde règnent les conflits et le
    commerce.


J’ai toujours aimé les piliers qui supportent les ponts,
les bateaux en partance, les phares et les grues.
J’ai toujours aimé l’Océan et les signaux des sémaphores.

Là où vivent les morts je vivrai un jour,
en ce lieu inexistant que les déités temporaires
ont réservé aux cendres qui ne sont rien ni personne.

Et j’ai toujours aimé la neige tombant sur les platanes
qui bordent la Seine, tandis que les péniches
passent lentement sous les ponts.

Le fourmillement clair des eaux claires
éclate dans le matin sous l’illustre
ciel bleu soutenu par les oiseaux.

J’ai toujours aimé les miroirs des salons de coiffure,
les marchands de fleurs, les kiosques à journaux,
les légumes dans les gondoles des supermarchés.

Le jour est une pièce de monnaie rouillée par les chimères.
Et les ponts tressaillent au passage des bus poussiéreux
qui s’acquittent des migrations de la misère et de la mort.

J’ai toujours aimé écouter les rumeurs du monde :
le bourdonnement doré de l’abeille dans le fumier,
le jour trépidant et le vent vagabond.

La sirène du bateau retentit. C’est l’heure de partir.
Toute porte fermée est un port que doit ouvrir
le vent triomphant qui déchire l’océan.

J’ai toujours aimé la lumière du soleil estropié
qui niche dans les palétuviers, la lumière fluviale du jour
sur les dunes qui la nuit marchent à l’horizon.

Qui possède la clé des songes ouvre n’importe quelle porte.
Qui navigue en dormant finit par arriver à bon port
et voit dans les navires l’abolition de la mort.

Et j’ai toujours entendu la voix qui m’appelle dans l’obscurité,
la voix de l’autre rive, provenant des autres mondes
qui se défont dans l’air, léchés par la brume.

J’ai toujours aimé cette voix qui n’est aucune voix,
un murmure du néant, la cendre frissonnante,
le sable qui crisse sur la plage interminable.

Le feuillage de la nuit me couvre quand je dors,
linceul d’un soleil pur qui cherche toujours les ténèbres,

murmure d’une fontaine, pierre blanche d’un mur.
J’ai toujours aimé le temps et l’intempérie,
les termites qui prolifèrent dans la nudité de la matière,
dans les pâles colonies de la nuit dévastée.

Dans le malheur, la chance a voulu
que toujours je me retrouve, même en plein naufrage
qui est toujours l’œuvre du vent.

J’ai toujours aimé ce qui vit dans l’eau noire des mangroves.
J’ai toujours aimé ce qui naît. J’ai toujours aimé ce qui meurt
quand la nuit s’abat sur les maisons des hommes.
 


Sempre amei o dia que nasce. A proa do navio,
a claridade que avança entre as sombras esparsas,
o longo murmúrio da vida nas estações ferroviárias.

Uma fogueira de palavras irrompe na praça.
Um negro trem lacustre atravessa a cidade.
O dia derrama as sílabas do mundo nas calçadas.

Sempre amei o trovão que dilacera a tarde,
a ferrugem e a chuva, os amores que acabam
e a fumaça que sobe dos pneus esfolados.

Os dias idiotas passam como as pontes.
As estátuas voam como pássaros.
As portas mais fechadas se abrem como lábios.

Sempre amei o que passa: os táxis lotados,
os apitos dos trens, as nuvens desgarradas
e as folhas arrastadas pelo vento.

O granizo fustiga as pirâmides da morte.
A porta do bordel estala no mormaço.
Um poente amarelo rodeia o estaleiro.

Sempre amei a sucata, a forma destruída
pelo tempo tornado maresia.
Sempre amei o gorgulho escondido no silo.

O rumor da torrente faz a noite mais clara
e desfralda entre as pedras os belos estandartes
de um sonho que acompanha um sol desmantelado.

E sempre amei o amor, que é como as alcachofras,
algo que se desfolha, algo que esconde
um verde coração indesfolhável.

No estaleiro de São Miguel dos Campos
o mar devolve ao mar o espólio reclamado
das vértebras perdidas dos navios.

Sempre amei o trovão que desperta os que dormem,
a porta de minha casa aberta à trovoada,
o dia que perde as escamas como um peixe.

Sempre amei o nevoeiro que esconde as paisagens,
manequins, espantalhos, espelhos quebrados.
Sempre amei a ferrugem, a erosão e a sucata.

Os contêineres são depositados no porão dos navios como
   cestos de flores.
A linha que separa a terra do mar fulgura como um raio.
No imenso balcão do mundo há dissídio e comércio.

Sempre amei os pilares que sustentam as pontes,
os navios que partem, os faróis e os guindastes.
Sempre amei o Oceano e os sinais semafóricos.

Onde vivem os mortos viverei algum dia,
nesse lugar nenhum que os deuses temporários
reservaram a cinzas que são nada e ninguém.

E sempre amei a neve que cai entre os plátanos
que bordejam o Sena, enquanto os barcos
passam lentos e brancos sob as pontes.

O claro formigueiro de águas claras
rebenta na manhã sob o preclaro
céu azul sustentado pelos pássaros.

Sempre amei os espelhos das barbearias,
as barracas de flores, as bancas de jornais,
os legumes nas gôndolas dos supermercados.

O dia é uma moeda oxidada pelas quimeras.
E as pontes estremecem à passagem dos ônibus empoeirados
que efetuam as migrações da miséria e da morte.

Sempre amei escutar os rumores do mundo:
o zumbido dourado da abelha no esterco,
o dia estrepitoso e o vento vagabundo.

Os navios apitam. É hora de partir.
Toda porta fechada é um porto a ser aberto
pelo vento triunfante que dilacera o oceano.

Sempre amei a luz do sol estropiado
que se aninha nos mangues, a luz fluvial do dia
sobre as dunas que à noite caminham no horizonte.

Quem tem a chave dos sonhos abre qualquer porta.
Quem navega dormindo chega a qualquer píer
e nos navios vê a abolição da morte.

E sempre ouvi a voz que me chama no escuro,
a voz do outro lado, vinda dos outros mundos
que se desfazem no ar, lambidos pela bruma.

Sempre amei esta voz que é uma voz nenhuma,
um sussurro do nada, a cinza estremecida,
uma areia que range na praia infindável.

A folhagem da noite me cobre quando durmo,
mortalha de um sol puro que sempre busca a treva,
murmúrio de uma fonte, pedra branca de um muro.

E sempre amei o tempo e a intempérie,
o cupim que prolifera na nudez da matéria,
nas pálidas colônias da noite depredada.

Quis a fortuna que, no perdimento,
eu sempre me encontrasse, mesmo estando
no naufrágio que é sempre obra do vento.

Sempre amei o que vive na água negra dos mangues.
Sempre amei o que nasce. Sempre amei o que morre
quando a noite desaba sobre as casas dos homens.